(se)
peser • contre-peser • faire peser • peser (ur) • peser d'un grand
poids • peser
dans la balance • peser de tout son poids • peser le poids d'un âne mort • peser le pour et le contre • peser lourd • peser plus lourd que • peser sur • se faire peser
PESER (v. a.)[pe-zé. La syllabe pe prend un accent grave quand la syllabe
qui suit est muette : je pèse, je pèserai]
1. Comparer la pesanteur
d'une chose avec un poids connu et certain. Peser du pain, de la viande.
• C'est
une chose bien étonnante qu'on soit parvenu à peser en quelque sorte les
corps célestes ; mais croiriez-vous qu'on détermine à peu près le poids
qu'auraient sur la surface de Saturne et celle de Jupiter les corps que nous
pesons sur notre globe ? (CONDILLAC Art de rais. III, 10)
2. Fig. Examiner une chose
attentivement pour en connaître le pour et le contre.
• Pesez
bien les effets qui suivront mes paroles (ROTR. St Gen. II, 8)
• Vous
voulez tout peser avant que de faire le premier pas (MASS. Panégyr. Sainte Magdel.)
• Comme
il [Louis XIV] était sage, et qu'il savait combien les paroles des rois sont
pesées (Mme DE CAYLUS Souvenirs, p. 114, dans POUGENS)
• Connais
tes intérêts, pèse-les et choisis (VOLT. Olymp. IV, 2)
• On
ne pardonne rien aux hommes d'un certain ordre : on pèse leurs plus
indifférentes actions dans une balance rigoureuse (DIDER. Claude et Nér. I, 95)
Absolument.
• Pesez,
examinez ; j'ai résolu d'attendre, Et j'approuverai tout (DESTOUCH. Irrésolu, II, 10)
Peser
les mots, les paroles, en apprécier les conséquences.
• Je
pèse mes discours, je me trouble et m'étonne, Tant j'ai peu d'assurance en la
foi de personne (MALH. V, 23)
• Personne
ne pèse plus ses paroles que vous sur les choses importantes (SÉV. 24 janv. 1689)
• Tous
les mots sont à peser (BOSSUET Lett. 16)
• Pesez
votre réponse avant de la faire (J. J. ROUSS. Hél. VI, 6)
Peser
toutes ses paroles, peser tout ce qu'on dit, parler avec lenteur, avec
circonspection.
• Tous
pesant leurs paroles, tous embarrassés de leurs voisins et d'eux-mêmes (VOLT. Princ. de Babyl. 4)
• Il
pèse tous ses mots, mesure tous ses pas (DESMAHIS l'Impertinent, sc. 5)
3. Apprécier, en parlant
des personnes.
• Il
pesait les esprits, et donnait à chacun le rang qu'il méritait (FLÉCH. Duc de Montausier.)
• Il
tient la balance éternelle Qui doit peser tous les humains (J. B. ROUSS. Odes, I, 11)
• Et
Dieu nous pesa tous dans la même balance (VOLT. 1er disc.)
On dit
dans un sens analogue : peser les voix, les raisons, etc.
• Je
ne compte pas les voix, je les pèse (BALZ. liv. VI, lett. 1)
• Elle
[l'Académie] s'est persuadé qu'il fallait plutôt peser les raisons que
compter les hommes qu'elle [la tragédie du Cid] avait de son côté (Acad. sentim. Cid.)
• Acante,
le public à vos vers applaudit ; C'est quelque chose, mais la gloire Ne
compte pas toujours les voix, Elle les pèse quelquefois (LA FONT. Lett. XIII)
4. V. n. Avoir un certain
poids.
• Tous
les corps connus pèsent, et il y a longtemps que la légèreté absolue a été
comptée parmi les erreurs d'Aristote et de ses sectateurs (VOLT. Phil. Newt. III, 1)
• Dans
l'année 1750, un Anglais mourut âgé de vingt-neuf ans, à Mader en Essex ; il
pesait 609 livres, poids anglais (BUFF. Suppl. à l'hist. nat. Oeuv.
t. XI, p. 118)
• On
sait que, volume pour volume, la terre pèse quatre fois plus que le
soleil (BUFF. Hist. nat. 2e disc. Oeuv. t. I, p. 100)
• Un
bateau placé sur la rivière déplace une quantité d'eau qui pèse précisément
autant que le bateau et toute sa charge (BRISSON Traité de phys. t. I, p. 269)
Cette
pièce d'or ne pèse pas, elle n'a pas le poids légal
Cela
ne pèse pas plus qu'une plume, se dit d'une chose très légère.
Fig.
Il ne pèse pas une once, se dit d'un homme que la joie rend vif, alerte.
Fig.
Ce que pèse son bras, sa force, sa vaillance dans les combats.
• Tu
l'as vu tant de fois au milieu des combats Montrer à tes pareils ce que
pesait son bras (CORN. Perth. III, 4)
Par
menace. Tu sauras ce que pèse ma main, tu éprouveras les effets de ma colère.
• Si
je te vois jamais regarder cette porte, M'entends-tu ? tu sauras ce que pèse
ma main (LA FONT. l'Eunuque, v, 5)
• Je
vous ferai sentir ce que pèsent mes coups (BOURSAULT le Merc. gal. I, 3)
Terme
de marine. Le vent pèse, il fait incliner le navire.
Terme
de chasse. Se dit en parlant des bêtes fauves qui enfoncent beaucoup leurs
pieds dans la terre.
5. Graviter.
• Tous
les corps, selon M. Newton, pèsent les uns sur les autres, ou s'attirent en
raison de leurs masses (FONTEN. Newton.)
• Les
satellites de Jupiter pèsent sur Jupiter, comme la lune sur la terre, les
satellites de Saturne sur Saturne, toutes les planètes ensemble sur le
soleil (FONTEN. ib.)
• Nous
ne pouvons douter que les corps ne pèsent les uns sur les autres en raison
directe de leurs masses et inverse du carré de leurs distances (BUFF. Hist. nat. Preuv. théor. terr. Oeuv. t. I, p. 226)
6. Fig. Avoir la valeur
de.
• L'un
et l'autre [le héros et le grand homme] mis ensemble ne pèsent pas un homme
de bien (LA BRUY. II)
• La
vie de l'ignorant ne pèse pas une heure de l'homme qui sait (DIDER. Opin. des anc. phil. (Sarrasins).)
7. Faire sentir un poids.
• Que
ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! (RAC. Phèdre, I, 3)
• Sur
lui pèse d'en haut une invisible main (DELILLE Parad. perdu, IV)
Terme
de manége. Ce cheval pèse à la main, il s'appuie sur le mors de manière à
lasser la main de son cavalier.
Fig.
Peser à la main, être à charge et ennuyeux.
8. Appuyer fortement sur
une chose. Peser sur un levier.
• Passer
ainsi la vie à chamailler, c'est peser sur le collier sans relâche comme les
malheureux chevaux de la remonte des fleuves (BEAUMARCHAIS Mar. de Figaro, III, 16)
Fig.
Peser sur, exercer une pression, de l'intimidation.
• Les
ennemis se sont rendus puissants, on a pesé lourdement sur la Bretagne et sur
le gouverneur (SÉV. 590)
• Que
l'Asie, pour peser sur l'Europe, eût acquis un nouveau poids (MONTESQ. Rom. 17)
Terme
de marine. Agir sur les cordages par son propre poids, les roidir en les
tirant de haut en bas.
9. Fig. Causer un malaise
comparé à la pesanteur. Cette viande pèse sur l'estomac. Son déjeuner lui a
pesé toute la journée.
Causer
un malaise moral. Cela lui pèse.
• À
quelque esprit léger ou de votre heur jaloux, à qui ce grand secret a pesé
comme à vous (CORN. Héracl. II, 1)
• Rien
ne pèse tant qu'un secret ; Le porter loin est difficile aux dames ; Et je
sais même sur ce fait Bon nombre d'hommes qui sont femmes (LA FONT. Fabl. VIII, 6)
• Pleurâtes-vous
longtemps ? ne dormiez-vous point ? aviez-vous quelque chose qui vous pesait
sur le coeur ? mon Dieu ! comment faisiez-vous ? (SÉV. 153)
• Cet
aveu me pesait, quoiqu'il fût nécessaire (LANOUE Coquette corr. IV, 1)
L'argent
lui pèse, se dit d'un prodigue qui a hâte de dépenser.
• Cet
argent-là lui pèse ; il veut s'en dessaisir (DESTOUCH. Dissip. I, 1)
On dit
aussi : l'argent ne lui pèse guère, il le dépense facilement.
10. Fig. Être soutenu,
comme est soutenu un poids, en parlant de choses importantes.
• Tout
le fort des combats pèse aujourd'hui sur moi (DELILLE Én. XII)
11. Être à charge.
• Tout
ceci ne me pèse et l'esprit ne me trouble (RÉGNIER Sat. VI)
• Je
ne sais comme on peut inhumainement peser sur les gens qu'on doit
aimer (SÉV. 25 sept. 1687)
• M.
de Rennes vous garde votre appartement.... c'est un homme admirable ; il ne
pèse rien, ni ses gens aussi (SÉV. 26 janv. 1680)
• Ma
funeste amitié pèse à tous mes amis (RAC. Mithrid. III, 1)
• Il
croit peser à ceux à qui il parle (LA BRUY. VI)
• Une
dépense qui commençait à peser (HAMILT. Gramm. 6)
• Dans
l'état où je suis, on pèse à l'amitié (GRESSET Sidn. II, 6)
• À
présent les vingt-quatre heures me pèsent beaucoup (STAËL Corinne, I, 3)
Peser
sur les épaules, être ennuyeux, fatigant.
• Que
sa présence me pèse sur les épaules ! (MOL. Bourg. gent. III, 6)
• L'abbé
Testu est parti, disant que Paris lui pèse sur les épaules (SÉV. 52)
On dit
dans le même sens : peser sur. la poitrine.
• Ce
Figaro pèse sur ma poitrine (BEAUMARCH. Mère coupable, IV, 3)
Peser
sur les bras, être à charge par la dépense.
12. Demeurer plus
longtemps sur. Il faut peser sur cette syllabe.
Peser
sur, faire remarquer.
• Je
pèse sur l'agrément et sur l'utilité même de cette sorte de vivacité [la
présence d'esprit] (SÉV. 10 déc. 1688)
• Pesons
davantage sur cette parole (BOSSUET 1er sermon, Annonc. 1)
13. Se peser, v. réfl.
Être pesé. Cela se pèse à la balance.
REMARQUE
Pour
l'accord du participe passé, il faut bien distinguer peser, v. a. et peser v.
n. Ainsi on écrira sans difficulté : Des trente kilogrammes que j'ai pesés un
à un pour en déterminer le poids exact ; mais on écrira : Des trente
kilogrammes que cet enfant a pesé, il en faut retrancher plusieurs pour avoir
son poids après la maladie dont il sort ; car ici peser n'est qu'en apparence
verbe actif.
HISTORIQUE
XIe s.— Que mort [il] l'abat, cui qu'en peist ou cui non [qui
que ce soit qui en ait du chagrin ou non] (Ch.
de Rol. XCVI)— Et d'Oliver lui peise mout
forment (ib. CLXXX)
XIIe
s.— La nuit fist-il sa chape une feiz recouper ; à
peine la poeit, issi pesout [tant elle pesait], porter (Th. le mart. 48)
XIIIe
s.— Et le fist moult honorablement sevelir comme
empereour, et mettre en terre, et fist grant semblant que il l'en pesast
[d'en être affligé] (VILLEH. XCVIII)— [Je] Ne vous feroie mal pour mil mars d'or pesé (Berte, CXIV)— Nus bateur
d'estain ne doit rien de chose que il vende ne achate apartenant à son
mestier, se la chose n'est pesée ou pois le roy (Liv. des mét. 76)— Si doit on
peser en casune [chacune] vile au pois qui y est acoustumés (BEAUMANOIR XXVI, 16)
XIVe
s.— ... Je tien pour le meillour Qu'à tout compter
et bien penser à drame [peser à drachme], Je voi assez puisque je voi ma
dame (MACHAUT p. 132)— Celui à qui il en
poise est appelé nolens en latin, et celui à qui il n'en poise pas est appelé
non nolens (ORESME Eth. 61)
XVe s.— Or d'une corde d'une toise, Sçaura mon col que mon cul
poise (VILLON Quatr.)
XVIe
s.— Et qu'ainsi soit, le moindre de tous ceulx
Pesoit [valait] ung duc, ung marquis ou un conte (J. MAROT V, 177)— Ce que j'eusse passé
à un aultre sans m'y arrester, je l'ai poisé et remarqué en.... (MONT. I, 58)— Parce que ces
evenements nous poisent [semblent importants], il semble qu'ils luy poisent
aussi [à Dieu] (MONT. II, 268)— Entre deux pareils ouvrages je poiserois tousjours
contre le mien (MONT. III, 32)— Je serois d'opinion que nous pesissions nos
escus (DESPER. Contes, CIV)— Des vases
pesans chacun trois talents (AMYOT P. Aem. 56)— Il pesoit trop toutes choses pour ne rien perdre, et
ne mettre rien en hasard (AMYOT Marcell. 12)— La teste d'un chef en peze plusieurs milliers (D'AUB. Hist. III, 285)— À un chacun
son fardeau poise (COTGRAVE)— Mal poise qui ne contrepoise (ID.)
ÉTYMOLOGIE
Picard,
epser, poiser ; bourguig. poisé ; provenç. pessar, pezar ; espagn. pesar ;
ital. pesare ; du lat. pensare, peser, fréquentatif de pendere [2ème e bref]
(voy. PENDRE et PENSER). Dans le moyen âge, peser,
verbe neutre, avait le sens d'être pénible à l'âme.